Imagine un CEO qui, entre deux bouchées de pain, te demande de justifier le coût de ton équipe produit. Tétanisé, tu n’as qu’une seule question en tête : comment prouver le ROI du product management quand tout semble si complexe et imprévisible ? Cet article explore cette quête du ROI, pourquoi la méthode ICE pourrait bien être la réponse inattendue, et comment elle peut même sauver les PM du burnout. Curieux d'en savoir plus ?
Grosse frayeur au séminaire d'entreprise. Assis au diner à côté du CEO, j'étais pas forcément à l'aise mais l'ambiance et la bouteille de vin aidait. Jusqu'à ce qu'il se tourne vers moi et qu'il me demande "Je suis curieux, c'est quoi le ROI de ton rôle ? Product Manager ?", lâchant un dernier "parce que ça nous coûte cher une squad produit.." en finissant son bout de pain.
Tétanisé, je lâche un "très bonne question" avant que le groupe de musique me sauve en nous invitant pour un paquito.
Lui avait vite lâché l'affaire, déjà en train de danser. Moi, cette question ne m'avait pas quittée.
Cela fait bien maintenant un an que j'entends parle de cette expression, le "ROI du Product". Ça a commencé quand le flot d'argent a fini par arrêter d'inonder les startups, ça s'est aggravé quand les CEO de Meta ou Airbnb ont rationalisé le poste.
Je trouvais le sujet légitime, l'équipe produit est peut-être l'une des plus chère d'une startup, et pour moi l'impact a toujours été central, cela fait 10 ans que je fais du produit en essayant de mettre la réflexion utilisateur et le pragmatisme de la data au coeur des conversations.
Mais le fait de recevoir cette question pour de vrai, dans ce contexte, m'a complètement déstabilisé.
Parce que oui, en théorie, dans une entreprise idéale, on pourrait mesurer les résultats du produit. Mais dans 90% des boîtes, les conditions pour le faire ne sont pas réunies, tout simplement, c'était notre cas.
En partant de là, comment trouver une mesure actionnable et assez universelle pour que chaque boîte puisse en profiter ?
Les choses ont bien changé ces dernières années pour les startups :
* À cause de la conjoncture économique, les VC ont petit à petit fermé les vannes. Argent facile qui permettait de créer des grosses équipes sans se poser trop de questions (c'était même souvent une de leurs conditions).
* L'IA déferle sur le monde des startups, remettant en cause beaucoup de roadmaps qui semblent d'un coup trop terre à terre. On sortait juste de la folie crypto...
* Certains influents CEO on décidé ouvertement de bien plus rationaliser leurs équipes produit.
Il était temps que le sujet soit abordé, alors que beaucoup d'équipes produit sont devenues des feature factories pour de multiples raisons.
On a pensé à tort que les revenus seraient corrélés à la taille de ces équipes et de leur vélocité. Il fallait bien qu'on se rende compte à un moment que ça ne marchait pas comme ça.
Passé la stupeur, je suis plutôt content que le marché devienne enfin mature sur le sujet. Ayant commencé ma carrière Product en Amérique du Nord en 2014, j'y ai appris à toujours mettre l'impact au coeur de mes préoccupations notamment en poussant la data au centre de mes méthodologies produit.
Mais ce qui a première vue peut ressembler à une solution de flicage de la part de la direction peut être fait être notre grande alliée.
Les VC ont fermé les vannes, et souvent les postes Product sont souvent ceux qui sautent en premier, faute d'être peu clairs pour les dirigeants et ce qu'ils apportent réellement au business.
Combien de meetings j'ai du passer avec d'autres équipes à essayer de les convaincre de l'intérêt qu'ils pourraient avoir à travailler avec nous.
Une mesure concrète permettrait aux équipes Produit de légitimer leur travail auprès des autres.
Ce qui rend la mesure d'un ROI pour l'ensemble du Product Management complexe c'est qu'on ne travaille pas en silo. En amont, une majorité des features qu'on développe nous ont été un peu imposées et en aval ce sont souvent d'autres équipes qui garantissent l'adoption de ces features.
Mais si on arrive à trouver une mesure assez granulaire qui donne un ROI sur chacune des opportunités, ça responsabilise tout le monde et ça nous pousse à travailler ensemble, main dans la main, pour construire les meilleures fonctionnalités possible.
Si on mesure le ROI de chacune des initiatives produit. Non seulement ça responsabilise les stakeholders, mais aussi l'ensemble des personnes de l'équipe produit.
C'est un cercle vertueux :
- Un PM se doit de proposer à son équipe des idées qui ont un potentiel certain car tout le monde sait qu'il sera jugé dessus à la fin.
- Le but du Product Designer ne sera pas juste de faire des beaux designs mais de réfléchir à une feature vraiment impactante.
- Les développeurs seront aussi responsables de shipper une feature qui apporte vraiment de la valeur, et dans l'autre sens ils pourront demander des comptes au Product Manager et au Product Designer si le potentiel de ce qu'on leur demande de faire n'est pas assez certain.
Le ROI est une chance pour nous de démontrer la valeur du produit, pas une contrainte.
Si on se base sur la définition du retour sur investissement, il faudrait qu'on arrive à donner en face du coût d'une équipe produit, ce qu'elle rapporte à l'entreprise, de façon monétaire.
C'est tout simplement impossible, car d'une part tout le travail produit n'a pas forcément un débouché monétaire. Le risque serait alors de ne prioriser que des features qui augmentent le revenu à court terme, au détriment parfois de beaucoup d'autres choses.
D'autre part, le travail du Produit n'est qu'un maillon dans une chaîne de valeur plus large.
Les demandes arrivent de toutes parts et ne sont parfois pas priorisées objectivement (qu'on le veuille ou non) et puis, même si on développe les features le mieux qu'on peut, leur succès est aussi dépendant d'autres équipes (marketing, sales).
Et surtout, il faudrait que l'entreprise ait les moyens de tester les features via des A/B tests pour avoir une vraie idée de ce qu'elles rapportent, sans biais aucun.
Et malheureusement très peu d'entreprises produit ont le niveau de maturité pour faire ça.
La recherche d'une telle mesure du ROI est donc contreproductive.
J'utilise cette méthodologie depuis des années et depuis quelques mois je me demande si elle n'a pas des pouvoirs insoupçonnés.
Pour rappel, à la base, ICE est un score utilisé pour prioriser les idées produit. On leur donne un score d'impact, un score de confiance et un score d'effort. Les 3 combinés donnent un score ICE qui permet de faire ressortir les idées qui ont le plus de potentiel et qui ne vont pas être une tannée à développer.
En deux temps trois mouvements, on a une idée assez claire de ce sur quoi il faut se concentrer.
C'est plutôt simple et straightforward, et surtout accessible et intuitif. Tout le monde peut comprendre ce que représente un score ICE et comment il se calcule.
Et finalement, avec tout ce qu'on s'est dit et si on pousse la réflexion, ces indicateurs semblent parfaits pour montrer l'efficacité d'une équipe produit :
- Elle va chercher à développer des features avec un maximum d'impact.
- Pour assurer cet impact, elle va faire sérieusement la phase de discovery pour avoir un score de confiance haut.
- Elle va collaborer efficacement pour réfléchir à des solutions avec l'effort le plus raisonnable possible.
Cette méthodologie semble aussi idéale pour travailler avec les autres équipes :
- Cette mesure va permettre de travailler main dans la main pour réfléchir la feature pour avoir un score le plus élevé possible. "Comment impacter plus largement ?" "Quelles sont les infos qui nous prouvent ça ?" "Quel pourrait être un MVP ?"
- Elle va permettre de faire comprendre objectivement pour certaines features ont été retenues et d'autres non pour la prochaine roadmap, sans amertume.
- Elle va nous forcer à casser les silos pour s'assurer de l'adoption réussie des features par les utilisateurs et ainsi atteindre l'impact espéré.
Ainsi, si on accumule les scores ICE des features d'un trimestre, ça nous permet de voir quel impact l'équipe à, le sérieux qu'elle a déployé pour avoir un taux de confiance le plus haut possible et apprécier son travail d'équipe pour aboutir à un ratio impact/effort le plus efficace possible.
Car finalement l'Impact seul n'est pas une bonne mesure (ce qu'aurait calculé un ROI classique), la Confiance permet de s'assurer que l'équipe ne fait pas n'importe quoi avec les fonds de la boîte et l'Effort montre à quel point l'équipe est efficace.
Un même impact n'a pas la même saveur s'il a été délivré en un mois ou en six mois.
Mais le score ICE tel qu'on le connaît existe depuis assez longtemps pour savoir qu'il vient avec son lot de faiblesses, après des mois de recherche et de tests, je pense être arrivé à un modèle qui corrige la majorité de ses défauts. J'en parle dans un article à venir pour ne pas rallonger encore celui-ci.
C'est un sujet qui me turlupine depuis un moment et, contre toute attente, j'ai l'impression que cette idée de ROI pourrait être une vraie alliée pour le Product Manager.
Plus de syndrome de l'imposteur, car elle permettrait de montrer objectivement la valeur du travail que l'on apporte au quotidien.
Mais surtout, elle rendrait objective la phase la plus subjective et stressante de la gestion de produit : le choix de la roadmap avec les différents stakeholders et la justification de ses priorités.
Le ROI n'est plus ressenti comme une épee de Damoclès, mais comme une justification pour une approche collective, une vision partagée pour maximiser l'impact du produit.
Le Product Manager redevient maître du Produit, tout en étant aligné avec les autres équipes.